JE CONTINUE A éCRIRE C’EST MA SEULE CONSOLATION
«
Je me souviens que Savka, mon grand-oncle, nous avait dit juste avant la guerre : – Regardez-vous bien les uns les autres, vous les jeunes, car jamais vous ne serez plus ensemble. Oui, nous étions encore quelques-uns à être réunis. Mais combien d’entre nous manquaient. Certains étaient morts, soit à la guerre soit dans la Résistance, soit encore dans les camps de concentration. C’est que nous ignorions jusqu’alors, ce qui s’était passé en Allemagne. C’est au fur et à mesure que les armées alliées avançaient que nous avons eu des informations. Oui, la guerre était finie. Mais disons-le, nos malheurs commençaient, ou ils continuaient.
Matéo Maximoff – Routes sans roulottes
»
Photo Bela Bernand, archives Matéo Maximoff

De retour en banlieue parisienne, à Montreuil-sous-Bois, Matéo a une obsession, clamer à la face du monde la tragédie du génocide des Tsiganes pour briser le silence qui entoure ce drame. L’écriture est devenu son moyen d’expression essentiel. Le manuscrit de son roman, « les Ursitory » est chez Flammarion. Il doit sa publication à la ténacité de maitre Isorni qui est resté en lien avec Mateo, pendant la guerre et lui a fourni le papier nécessaire à la rédaction de nombreux textes rédigés dans les camps.

Cahier poèmes manuscrits – archives Matéo Maximoff
« Je ne sais plus combien de romans j’avais écrit pendant mon internement à Lannemezan et à Tarbes. Dans mon petit sac à dos, j’avais mis tout ce que je pouvais ; mais il y en avait beaucoup d’autres que j’ai laissés là-bas et que j’ai oubliés. Je continue à écrire, je ne m’arrêterai pas, c’est ma seule consolation. »
1954 – Qui detective (photo Robert Doisneau)

«Les Ursitory» écrit en 1938, est enfin publié en 1946. Les actualités françaises consacrent un reportage filmé à la correction des épreuves à la librairie Flammarion. Les critiques sont élogieuses (New York Herald Tribune, Le Figaro Littéraire, France soir, etc.). Maximoff est souvent présenté comme le « premier écrivain tsigane », les journalistes se pressent à Montreuil pour le rencontrer et de nombreux articles, souvent illustrés par les plus grands photographes (Doisneau, Brassaï, Willy Ronis, Daettwyler) lui sont consacrés.

Jean Claude Carrière, alors adolescent, dont les parents tiennent un café à Montreuil « choisi par les Gitans pour être leur bistrot », se souvient : « quand je pense à Matéo, c’est la même image qui me revient. Il est assis par terre, assis en tailleur sur un trottoir, à Montreuil-sous-Bois sans doute au soleil, et il tape sur une machine à écrire. C’est une image inoubliable (il faut dire qu’elle nous vient de Robert Doisneau, qui fréquentait alors les banlieues proches), car l’homme assis là ne fait aucune esbroufe, ne joue aucun rôle. Simplement il s’est assis sur un trottoir et il écrit. Sa machine à écrire est ancienne, et probablement fatiguée. Son visage est sérieux et même appliqué. Il ne pose pas. Il ne soucie pas de ceux qui passent près de lui. Il est à la place de son peuple, c’est-à-dire dans un lieu de passage, et il raconte l’histoire de ce peuple (..) »

Lettres de Blaise Cendrars du 5 janvier 1949 – Archives Matéo Maximoff
En 1955, parution du roman « Le prix de la liberté » chez Flammarion, suivi de « Savina » en 1957. L’activité littéraire de Matéo le propulse dans le monde artistique. Blaise Cendrars lui propose son aide pour une adaptation cinématographique des « Ursitory », projet qui ne verra malheureusement pas le jour, bien que certains acteurs, Michel Auclair, Anna Magnani, aient déjà été pressentis pour les rôles.
Otto Daettwiller – Tsiganes-Büchergilde Gutenberg, Zürich, 1959 – textes Matéo Maximoff

Durant cette période et jusqu’aux années 1960, Matéo ne cesse d’écrire : il publie des articles dans des revues savantes (Etudes tsiganes, Gypsy Lore Society) et des magazines où il écrit des chroniques régulières, critiques de cinéma, et articles militants .
Malgré l’ampleur de son travail et sa notoriété, la fortune n’est pas au rendez-vous et Matéo continue de vivre à Montreuil, dans une modeste baraque, parmi les Roms de sa famille. Il rencontre Tita et ils ont une petite fille Anouk, surnommée Nouka. Les reportages illustrés dans les magazines se font l’écho de ce bonheur familial

Matéo Maximoff – archives de l’auteur – DR

A partir des années 1960, le rythme de publication de ses romans, se ralentit pendant plusieurs années, non pas que la source d’inspiration de Matéo se soit tarie, mais Flammarion ayant refusé de publier son quatrième roman, Matéo se consacre à d’autres activités. L’écriture y tient toujours sa place sous la forme du journal qu’il rédige méthodiquement, au jour le jour, depuis le 1er octobre 1944, matrice des récits autobiographiques qu’il publiera plus tard. Converti au pentecôtisme en 1962, il s’attelle à la traduction de la bible en romani.

En 1969, Mateo opte pour un nouveau procédé d’édition ; désormais il publiera lui-même ses livres à compte d’auteur. Il inaugure cette nouvelle formule avec la publication de son roman « La septième fille » qu’il avait écrit en 1958 ;  puis quinze ans plus tard, en 1984, il fait paraître « Condamné à survivre » , « La poupée de Mameliga » en 1986, « Vinguerka » en 1987, « Dites le avec des pleurs » en 1990, « Ce monde qui n’est pas le mien » en 1992, « Routes sans roulottes » en 1993, et « Les Gens du voyage » en 1995. Certains titres seront réédités ultérieurement par les éditions Wallada et de multiples traductions voient le jour au fil des années.

En 1986, Mateo reçoit la médaille de Chevalier des arts et des lettres de la part du ministre de la Culture, Jack Lang. Mais c’est à titre posthume, que la qualité littéraire de son œuvre est véritablement documentée et analysée en profondeur par plusieurs publications à travers le monde. L’article de Cécile Kovácsházy « Matéo Maximoff romancier, une vie pour la littérature » publié dans la revue Etudes Tsiganes, à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Matéo en 2017, en est l’exemple. Tout en reconnaissant les dimensions historique et anthropologique de cette œuvre, elle s’attache avant tout à en souligner la valeur littéraire : dimension épique, hybridité littéraire du passage de l’oralité à l’écrit, du réalisme au fantastique, de la fiction à la réalité.
Matéo Maximoff, photo Robert Doisneau (archive Maximoff)
L’œuvre littéraire de Matéo Maximoff est bien vivante. Pour preuve les traductions récentes qui viennent de paraître en 2021, en Islande, en Espagne et en Slovaquie et la future édition bilingue en cours en Angleterre du « Prix de la liberté ». Il reste à espérer qu’une édition française de l’ensemble de son œuvre, dont la majorité des titres sont épuisés, puisse voir le jour prochainement, ainsi que la publication de ses manuscrits inédits dont plusieurs versions de ses romans en langue romani.

LE RéCIT FAMILIAL

A LA CROISéE DES MONDES ROMS ET MANOUCHES

LES ANNéES
SOMBRES

JE CONTINUE A éCRIRE C’EST MA SEULE CONSOLATION

MONTRER LA VIE DES ROMS TELLE QU’ELLE EST

LE PREDICATEUR
MATéO

UN HOMME ENGAGé

UNE VIE POUR TRANSMETTRE