Montrer la vie des Roms telle qu’elle est, et non telle qu’on l’imagine
«
En tant que Tzigane nomade, Rom Kaldérash, j’ai parcouru trente-et-un pays à l’exception de l’Australie, comme romancier, mais surtout comme pasteur missionnaire de la Mission Vie et Lumière. Mon but était surtout de chercher les gens de mon peuple quelles que soient les tribus. Je n’ai pas voulu, comme n’importe quel photographe, amateur ou professionnel, faire du sensationnel. Seulement ramener quelques images chez moi. Ce n’est qu’à partir de 1964, lors d’une mission dans le Nord de l’Europe que, passant par l’Allemagne, j’ai acheté un appareil, le moins cher, capable de faire des diapositives. Avec cet appareil, j’ai fait plus de 3 000 photos dont certaines ont paru dans les journaux ou dans des revues ou tout simplement dans mes livres. Mon but : montrer la vie des Roms telle qu’elle est et non telle qu’on l’imagine.
Matéo Maximoff – Les Gens du voyage
»

Depuis ses plus jeunes années, Matéo nourrit une véritable passion pour les arts visuels. Le cinéma entre très tôt dans sa vie et y tiendra toujours une place prépondérante. Dans son récit « Dites le avec des pleurs », il raconte comment en s’inspirant d’une visionneuse pathéorama, il fabrique son premier appareil de projection et bricole son premier film. En prenant « plusieurs pages d’un cahier d’écolier, il les coupa aux dimensions du film et y dessina les images d’un film qu’il avait vu en plein air, projeté par des Manouches. C’était une histoire de Tom Mix. Quand il eut pu se procurer une bobine, il l’introduisit dans son appareil. Quelle joie de voir un film qu’on a fait soi-même à six ans ! »

Tita et Matéo Maximoff,
Saintes Maries de la mer,
années 50, photo DR

A cette époque, dès qu’il gagne quelques sous, il les dépense au cinéma. Dans son journal, il notera toute sa vie, de manière systématique, tous les films qu’il visionne. Une filmographie impressionnante et éclectique qui alimente son imaginaire et dont on peut retrouver l’influence dans la construction de ses romans.

Dans sa jeunesse, lors de son séjour dans sa famille maternelle manouche, Matéo a découvert une autre facette du cinéma, celle des projections ambulantes. « Me voici donc en voyage. Le métier de Pipia était le cinéma. Le soir nous nous arrêtions là où nous étions arrivés. Nous louions une place pour la nuit ; nous faisions faire des annonces par le garde-champêtre et le soir nous montrions un film muet. J’ai beaucoup aimé ce métier. Très vite j’ai appris à faire les projections, à réparer les vieux films, bien mieux que les autres Je suis devenu une sorte de spécialiste du cinéma. » (Matéo Maximoff-Routes sans roulottes)

En outre, c’est en tant que figurant que Matéo côtoie d’illustres réalisateurs, Anatole Litvak, Germaine Dulac, Christian Jacques, Jean Renoir pour ne citer qu’eux. Le cinéma restera une activité prépondérante dans sa vie comme conseiller technique et référent privilégié pour les directeurs de casting à la recherche de figurants « tsiganes ». A partir des années 1980, il noue une profonde amitié avec le cinéaste Tony Gatlif. Celui-ci lui confie le prologue d’un de ses plus beaux films « Latcho Drom » dans lequel Matéo exhorte les Roms du monde entier à maintenir vivantes, leur langue et leur culture.
Tony Gatlif et Matéo Maximoff
Dans les années 1960, Matéo acquiert une caméra 16 mm puis une caméra super 8 et se fait « reporter ». Les 70 films qui figurent dans ses archives, témoignent de ses multiples centres d’intérêt : sa vie parmi les Roms de Montreuil et des alentours, ses séjours chez les Manouches, Gitans Voyageurs aux quatre coins de la France, ses voyages à la rencontre des Roms du monde entier, les missions évangéliques, et à partir des années 1970, les congrès roms de l’Union Internationale Romani.

Comme l’écrit l’anthropologue et cinéaste Jonathan Larcher dans « Images Re-vues » : « Les films de Matéo Maximoff constituent ainsi une formidable chronique audiovisuelle de la circulation des hommes et des femmes romanis dans le contexte de l’émergence du mouvement pentecôtiste tsigane et d’un mouvement politique international rom. »

Dès 1946, Matéo commence à noter dans son journal, les références de ses premiers travaux photographiques.
Archives Mateo Maximoff
C’est à partir des années 1960 qu’il s’attelle à produire un corpus d’images, sous forme de diapositives en couleur dont plus de 8000 (sur les 20 000 produites) ont été sélectionnées et conservées par l’auteur lui-même.

Dans son recueil « Les Gens du voyage » Matéo tient à préciser l’éthique qui sous-tend son travail : « les Roms quels qu’ils soient, se méfient à juste titre des photographes. Mais comme je suis l’un d’eux et que je parle leur langue, ils me reçoivent et moi, je n’ai jamais profité de la situation. Exemple : je n’ai jamais photographié un enterrement parce que je connais parfaitement nos coutumes. Par contre, quelle joie de photographier des mariages ! »

Une partie de l’œuvre photographique de Matéo est souvent qualifiée d’ethnographique en tant que production méthodique d’images qui décrivent avec précision le monde romani : en premier lieu, les personnes, toutes générations confondues, leurs conditions de vie, leurs manières de se vêtir, leurs habitats, leurs métiers, leurs fêtes, leurs pratiques religieuses. Certains éléments récurrents constituent des séries : portraits, conventions évangéliques, mariages roms. Ces archives représentent une source d’informations précieuses sur près de 40 années (1960-1999) d’autant plus, qu’elles sont accompagnées de légendes détaillées établies par Matéo. (pour une partie de ce fonds, de 1963 à 1984).

Raïda soeur de Mateo, Robert Doisneau, Michelle Brabo et Matéo Maximoff
– photo DR
Certaines de ses photographies se distinguent par leur qualité. Si Matéo semble s’attacher à privilégier l’information contenue dans ses prises de vue, son regard photographique exercé n’en demeure pas moins remarquable. Il est vrai qu’il a été à bonne école. Ses dons d’observation, sa capacité d’absorption des connaissances et des techniques ont fait leur preuve, aux côtés des grands photographes qu’il a fréquentés, Robert Doisneau, Willy Ronis, Bela Bernand, Otto Deattwyler, Michèle Brabo. Au début des années 1970, un jeune photographe tchèque surgit dans sa vie. Il s’appelle Josef Koudelka et cette rencontre scellera une longue et profonde amitié.
Matéo Maximoff et Josef Koudelka-Amboise -1983

Certaines photographies de Matéo ont fait le tour du monde et sont devenues iconiques à l’instar de celle du deuxième congrès mondial rom , à Genève en avril 1978 mais dans l’ensemble ce fonds reste encore inédit, à l’exception d’une centaine d’entre elles, publiées en 1995, dans un modeste recueil, édité en noir et blanc, sous le titre « Les Gens du voyage ».

Depuis 2014, grâce aux travaux du chercheur Antoine Le Roux, ces archives visuelles d’une grande valeur commencent à sortir de l’ombre. Déposées par Nouka Maximoff, la fille de Matéo, à la médiathèque de la Fnasat-Gens du voyage (renommée « Médiathèque Matéo Maximoff ») elles ont fait l’objet de plusieurs publications et expositions, notamment pendant la Nuit de l’année aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2022 (cf. lien ci-dessous).
https://vimeo.com/731279923
L’année 2023 verra la réalisation d’une vaste exposition rétrospective et la publication d’une monographie.

LE RéCIT FAMILIAL

A LA CROISéE DES MONDES ROMS ET MANOUCHES

LES ANNéES
SOMBRES

JE CONTINUE A éCRIRE C’EST MA SEULE CONSOLATION

MONTRER LA VIE DES ROMS TELLE QU’ELLE EST

LE PREDICATEUR
MATéO

UN HOMME ENGAGé

UNE VIE POUR TRANSMETTRE