Une vie pour transmettre
Asunen tume/Ecoutez tous /Sa le Rom kaj san ande sa e lumia/Vous les Roms qui êtes dans le monde entier /Ande sako rig/ De tous côtés /Ame si trubul soha/ Nous ne devons jamais /Te bistras amen chib e romani/ Oublier notre langue romani /Ame avas and’a India/ Car nous venons de l’Inde/Si kod’a pashte ek mia bersh/ Cela fait presque un millier d’années/ Den tume god’i, chavale/ Pensez- y bien, les jeunes/ Amare phure de panz chela bersh/ Nos anciens depuis cinq cent ans/ Marde le, tchinisarde le / Ont été battus, persécutés/ De sako rig/De tous côtés/ Numa ame te kamas te keras amaro zakono/ Mais si nous voulons perpétuer nos coutumes /Trubul te na xasaras tchi ek fjalo amiri chib/ Il ne faut rien perdre de notre langue/ ke kod’a si amiri maj bari zor/ Car elle est notre grande force
Matéo Maximoff – Prologue du film Latcho Drom-Tony Gatlif, 1993
Chez Matéo, Raïda, Matéo et son petit neveu Ryad
Du plus loin que l’on remonte dans la biographie de Matéo, l’on trouve cette volonté de collecter, les rites, les coutumes, les croyances, les récits, les contes, que depuis son enfance, il mémorise, se constituant ainsi un patrimoine qu’il cherchera à transmettre de son vivant et à léguer aux générations futures.

C’est auprès de ses ancêtres, puis dans son parcours personnel, ses rencontres et ses recherches que se constitue la matière historique, ethnologique et biographique d’un vaste corpus qu’il n’a de cesse de transcrire par écrit, de photographier, de filmer pour laisser une trace, un témoignage, un héritage culturel.

Dans nombre de ses publications, Matéo rend hommage à ses aïeux, sa grand-mère paternelle Lutka, sa grand-mère maternelle Mimi, son père Lolia, son oncle Savka et tous ceux qui lui ont transmis l’histoire familiale et les légendes qu’il s’est appliqué à enregistrer dans sa mémoire et à immortaliser dans ses récits. Jeune écrivain, il se fait à son tour conteur, lorsqu’il livre à la veillée, chez les Roms de son entourage, le récit de ses romans. En 1945, dans son journal, il exprime la joie de percevoir l’intérêt de son auditoire : « je vois qu’on m’attend avec impatience pour leur raconter la suite de Laider et Solomia. Surtout Savka veut connaître la fin et me le demande de si bon cœur que je m’exécute. A la fin chacun émet son opinion. Je vois ainsi qu’on aime m’entendre parler de mes romans. »

Photo Bela Bernand – archives Matéo Maximoff
Si le passage de l’oral à l’écrit et le succès de ses romans lui ont ouvert un vaste lectorat et des relations dans le monde des gadjé, Matéo n’a jamais quitté le monde romani. Il se percevait comme un précurseur susceptible d’ouvrir la voie à d’autres écrivains roms, manouches, gitans. Dans son roman Vinguerka, il fait dire à l’un de ses personnages : « je souhaite qu’à l’avenir plusieurs d’entre vous aillent à l’école, qu’ils apprennent à lire et à écrire et que peut-être un jour ils deviennent des écrivains. Ce sera alors leur devoir de faire connaître aux autres, notre race, ce que nous avons vécu et ce que nous vivons. Et non pas comme les autres étrangers l’imaginent et le racontent. »
Au cœur de ce patrimoine dont Matéo se perçoit comme un garant et passeur de relais, la langue romani occupe une place centrale. Outre le travail colossal de traduction de La Bible qu’il a produit, Matéo se consacre à la fin de sa vie, à la traduction de six de ses romans, en dialecte kalderash. Ces manuscrits restent à ce jour inédits. Ils constituent la prolongation d’une œuvre qu’il souhaitait transmettre à ses frères roms, qu’il n’a cessé d’encourager à préserver leur culture et leur langue.

Cette vocation de passeur s’illustre également par sa volonté d’être un trait d’union entre le monde romani et le monde des gadjé. Ce fut l’un de ses engagements constants auprès des associations, dans ses interventions auprès des médias, de manifestations culturelles en conférences, de rencontres publiques en multiples débats auxquels il a participé tout au long de sa vie.

Archives Matéo Maximoff
Dans ses dernières années, un des grands bonheurs du petit Rom qui n’avait pas connu l’école fut de se retrouver dans le rôle de conteur auprès des enfants, dans les établissements scolaires et de partager avec eux, un trésor séculaire de contes et légendes et une Histoire des peuples romani qui a peu de place dans les programmes scolaires.
La maison de Mateo
derrière le panneau publicitaire,
photo Michèle Brabo
La maisonnette de Romainville où Matéo vécut jusqu’à son décès le 24 novembre 1999, offrait à chaque visiteur l’impression d’entrer dans un autre monde. Au fil du temps, les collections et les archives du maître des lieux y avaient grignoté tout l’espace. Ce patrimoine légué à sa fille Nouka a révélé l’organisation méthodique que Matéo a pris soin d’établir pour transmettre à la postérité et documenter une vie de création et de travail dédiée à la mission de sa vie : faire connaître et respecter son peuple.
Matéo Maximoff – photo Michèle Brabo – 1985

LE RéCIT FAMILIAL

A LA CROISéE DES MONDES ROMS ET MANOUCHES

LES ANNéES
SOMBRES

JE CONTINUE A éCRIRE C’EST MA SEULE CONSOLATION

MONTRER LA VIE DES ROMS TELLE QU’ELLE EST

LE PREDICATEUR
MATéO

UN HOMME ENGAGé

UNE VIE POUR TRANSMETTRE